Chronique no. 143, publiée dimanche dernier dans le Prions en Église, par Alain Roy.

Le Dieu fugueur

Avez-vous déjà fait une fugue? Moi oui. À vingt ans, j’avais commencé ma formation pour devenir prêtre au séminaire. Je trouvais l’atmosphère lourde et étouffante. Un jour, je décide de partir trois jours avec un prêtre à son chalet mais sans en aviser personne, histoire d’échapper à ma vie quotidienne ennuyeuse et d’affirmer mon indépendance…

La fugue de Jésus

Ce n’était pas une bonne idée. Mon entourage s’est vivement inquiété et ce petit caprice un peu adolescent a plombé ma réputation qui n’en avait déjà pas besoin. Mais cela m’a rapproché de Jésus quand il eut douze ans. L’évangile nous rapporte qu’au seuil de la maturité religieuse et d’une adolescence très brève, il devint introuvable durant le pèlerinage qu’il faisait avec ses parents et tout son clan à Jérusalem. Une foule immense avait envahi la ville sainte comme à chaque année. Des dizaines de milliers de pèlerins remplissaient les rues et les places. Marie et Joseph ne s’étaient pas trop inquiété au début en ne l’apercevant plus. Ils le pensaient sans doute quelque part dans la caravane avec des amis ou des cousins. Mais sur le chemin du retour, ils ont constaté son absence. Si l’alerte Amber avait existé, ils l’auraient déclenchée. Ils se mirent à sa recherche, désespérément. Au bout de trois jours, ils le découvrirent dans le temple conversant avec les docteurs de la Loi. Soulagés, ils lui signifièrent leur désarroi, voire leur tourment. Et Jésus, suavement, leur répondit : « Ne saviez-vous pas que je devais être aux affaires de mon Père? ». Pourquoi s’inquiéter de son absence? N’était-il pas destiné à enseigner et faire connaître la volonté du Père?

Un Dieu parfois absent

Le Seigneur s’absente de temps en temps. Nous le prions et il ne répond pas. Les événements semblent silencieux eux aussi. Aucun signe de vie de la part de Dieu. Silence radio complet. Et ça dure, ça dure. Nous voudrions le saisir et l’asseoir à côté de nous. Présence évidente et rassurante. Mais voilà, le Seigneur a un tempérament fugueur. Il disparaît comme il était venu. Holderlïn, un poète allemand, disait : « Dieu a fait l’homme comme la mer fait les continents : en se retirant ». Il nous lance le défi de le laisser s’absenter : il va revenir. Il est à la fois le Dieu proche et lointain, au gré de ses humeurs ou plutôt, au gré de son mystère. Ses absences nous font grandir autant que ses présences.

Peut-être devrions-nous l’imiter nous aussi. Fuguer une fois ou l’autre pour être aux affaires de notre Père. Disparaître de la circulation dans un coin reculé. Au monastère? Au chalet? À la bibliothèque? Au sous-sol de la maison? Fuir le bruit, la foule, les distractions pour réfléchir, lire, prier, chanter, écrire. Mais, un petit conseil d’un ancien fugueur : avertissez votre entourage pour ne pas déclencher des alertes aussi pénibles qu’inutiles.

À l’image de Jésus fugueur

Votre enfant a peut-être des intentions qui vous désarçonnent. Plutôt que les études universitaires auxquelles vous rêviez pour lui, il choisit un métier peu rémunérateur, un travail manuel ou artistique au statut précaire. Il projette peut-être d’aller rendre un service communautaire outre-mer au lieu d’entreprendre une carrière prometteuse ici. C’est peut-être sa façon d’être aux affaires de son Père…

Alain Roy